SI LA POPULATION NE RESSENT PAS LES RICHESSES CREEES.

Gscom Team 21/05/2019 13:59:54 Economie
SI LA POPULATION NE RESSENT PAS LES RICHESSES CREEES.

Moubarack Lô parle, dans cet entretien, du concept d’émergence, de l’industrialisation, de l’autosuffisance alimentaire… D’habitude si percutant, cette fois, il pèse bien ses mots et refuse de trop s’épancher sur l’actualité brûlante.

Dans son domaine, il est très connu et respecté pour ses nombreuses publications. Economiste, conseiller spécial du désormais ancien Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, Moubarack Lô parle, dans cet entretien, du concept d’émergence, de l’industrialisation, de l’autosuffisance alimentaire… D’habitude si percutant, cette fois, il pèse bien ses mots et refuse de trop s’épancher sur l’actualité brûlante. Devoir de réserve oblige !

Sur quels critères repose le classement des pays émergents que vous venez de publier ?

L’émergence est un concept multidimensionnel. Et aujourd’hui, il n’y a pas de consensus sur ses caractéristiques. Nous, depuis 20 ans, nous travaillons sur ce concept. L’expérience accumulée et la revue de la littérature nous permettent de dire que l’émergence peut être résumée en 4 dimensions principales. La première, c’est la richesse inclusive. Si c’est une richesse dont ne profite pas la population, pour nous, ce n’est pas de l’émergence. Celle-ci doit, en effet, être ressentie par la population, en termes d’amélioration de sa qualité de vie. Le deuxième élément, c’est le dynamisme économique. C’est-à-dire, il faut que la création de richesses à un rythme élevé soit maintenue dans la durée, de manière rapide et saine. La troisième dimension, c’est la transformation sociale. Pas d’émergence sans transformation structurelle. Pour ce faire, il faut, d’abord, une agriculture beaucoup plus productive, avec des rendements élevés et des méthodes culturales modernes. Aussi, il faut l’industrialisation. L’émergence suppose l’industrialisation. Pas nécessairement la manufacture qui, cependant, est très importante pour un pays qui doit créer beaucoup d’emplois comme le Sénégal. Mais ce n’est pas indispensable pour tout le monde. La quatrième dimension concerne l’insertion dans l’économie mondiale. Il est économiquement démontré que les pays ouverts font plus de croissance que ceux qui sont fermés. En plus, il est même impossible d’évoluer dans ce contexte en vivant en autarcie. Les pays qui aspirent à l’émergence doivent pouvoir arriver à secréter des produits adaptés à la demande mondiale. Mais également de produits transformés et à contenus technologiques. Ce sont ces 4 dimensions combinées selon des méthodes statistiques robustes qui permettent de pouvoir mesurer de manière rigoureuse et non contestable le degré d’émergence d’un pays (ce classement est effectué sur la base de l’Indice synthétique d’émergence économique [Iseme] initié par l’Institut de l’émergence:Ndlr).

Qu’est-ce qui justifie alors la 12e place du Sénégal ?

Il faut d’abord souligner que c’est une bonne place. En Afrique de l’Ouest, le Sénégal est deuxième derrière la Côte d’ivoire…

Justement, est-ce que ça ne pose pas problème que le Sénégal soit classé devant des pays comme le Nigeria, le Ghana et même, au-delà de l’Afrique de l’Ouest, le Kenya ?

Parce que le Sénégal, comparé au Nigeria et au Ghana, est premier en termes de transformation. La quasi-totalité des exportations nigérianes ne sont pas transformées. C’est du pétrole brut. Or, vous ne pouvez pas émerger, si vous ne transformez pas. La transformation est au cœur du dispositif d’émergence. C’est ce qui a handicapé le Nigeria. Et puis, n’oubliez pas que sa croissance a beaucoup fléchi, à cause de la baisse des prix du pétrole ces dernières années. Pour le Ghana également, c’est un problème de transformation.

Mais le Sénégal fait-il mieux que ces pays en matière de transformation, si l’on sait que l’économie reste toujours tirée par les services et qu’il n’y a pratiquement pas de création d’industries ?

Oui. Mais le Sénégal exporte beaucoup de produits transformés. Pratiquement, tous nos grands produits sont transformés. Si vous prenez le phosphate, on exporte surtout de l’acide phosphorique. Au niveau de l’arachide aussi, on exporte de l’huile transformée, même si on ne va pas jusqu’au bout dans cette transformation de l’arachide. Pour ce qui est de l’industrialisation, si vous regardez l’indice, vous allez voir que la dimension sur laquelle le Sénégal progresse le moins, c’est celle relative à la transformation industrielle. C’est là un des plus grands défis du Sénégal. Il faut accélérer ce processus d’industrialisation. Cela lui permettrait d’améliorer davantage son classement.

Quid du cas Kenya ? Comment le Sénégal peut-il être devant ce pays ?

Pour le Kenya, j’ai tous les éléments, mais je ne les ai pas encore étudiés de près pour pouvoir répondre de manière rigoureuse. Mais, effectivement, c’est un cas qu’il faudra étudier.

En ce qui concerne la dimension intégration dans l’économie mondiale, n’y a-t-il pas aussi un problème, si l’on sait que notre balance commerciale est constamment très déficitaire ?

Disons que la balance commerciale n’est pas intégrée, ici. C’est d’abord une dimension macroéconomique. On l’a intégrée dans un dynamisme économique sain. C’est là où la balance joue son rôle. Ce qu’il faut noter, c’est aussi qu’en général, les pays qui commencent leur processus d’émergence ont une balance commerciale déficitaire parce qu’ils importent beaucoup de biens d’équipements. Ce qui est important dans la balance commerciale, c’est surtout devoir la nature des biens importés. S’il s’agit de biens d’équipements par exemple, cela veut dire que le pays est en train d’investir, de s’industrialiser… Mais si c’est uniquement de l’alimentation, ce n’est pas bien. Pour le Sénégal, on voit les deux. Et je pense que les autorités font des efforts pour avoir l’autosuffisance en vue de diminuer l’importation de biens de consommation. Il faut continuer à travailler dans ce sens.

Apparemment, ça coince à propos de ce programme d’autosuffisance et l’importation de biens de consommation continue de plus belle ?

Je pense plutôt que ça avance. Disons que l’autosuffisance, c’est un long processus, moins facile que ce qu’on avait prévu. Parce qu’il y a aussi les habitudes alimentaires. Vous produisez, mais est-ce que les Sénégalais consomment ce que vous produisez ? L’autosuffisance, c’est que vous n’importiez plus beaucoup pour pouvoir vous nourrir. Mais si, par exemple, la population préfère le riz importé, vous n’allez jamais atteindre l’autosuffisance dans ce produit. Il faut donc travailler sur les deux volets. Et pour cela, il faut des produits de qualité, adaptés aux besoins des consommateurs et à des prix compétitifs. Après, on pourra faire la promotion au niveau des consommateurs.

Selon vos projections, dans combien d’années le Sénégal (potentiellement émergent d’après l’indice) pourrait intégrer le cercle des pays émergents ?

Si le Sénégal continue dans ce même rythme, il sera un pays émergent à l’horizon 2035, comme prévu dans le Pse.  Mais notre conviction est qu’il est possible d’aller beaucoup plus vite. N’oubliez pas que dans le Plan Sénégal émergent 2e version, le Sénégal vise une moyenne de croissance de 9 %. Si le pays y arrive et qu’il maintienne de bons équilibres macroéconomiques, l’objectif peut être atteint plus tôt que prévu.

Mais n’est-ce pas trop ambitieux si l’on sait que même le taux de 7,2 initialement fixé pour 2018 a été revu à la baisse par le Fmi à 6,2 % et même par le gouvernement à 6,8 % ?

Si. Les 7,2% ont été confirmés. C’est le Fmi qui avait revu à la baisse le chiffre, mais qui, parla suite, a rejoint le gouvernement. En tout état de cause, nous avons une bonne croissance, en moyenne 7% environ sur les deux ans (2017-2018). Et à partir de 2021-2022, nous visons un tauxde11%. Et c’est ce qui nous fera la moyenne de 9 % sur la période 2018- 2023. C’est bien possible avec le début de l’exploitation du pétrole.

Sinon, quels sont les obstacles qui pourraient se dresser devant le Sénégal, dans cette marche vers l’émergence ?

Vous savez, la croissance est un résultat. Il faudra donc travailler sur les leviers pour avoir de bons résultats. Il s’agit des ressources humaines de qualité pour porter l’émergence. Par exemple, dans l’agriculture, il faudra des agriculteurs aguerris pour faire des résultats probants. Au niveau industriel également, il faut renforcer la formation professionnelle et technique pour avoir de bons ouvriers, mais surtout de bons techniciens supérieurs. Il nous faut également continuer à renforcer les infrastructures, les rails et les pistes rurales, particulièrement. Faire aussi en sorte que les besoins de financements des entreprises soient satisfaits.

Certains spécialistes qualifient notre économie d’extravertie, profitant essentiellement aux entreprises étrangères. Partagez-vous cet avis ?

Là aussi, je dirai que c’est une transition pour un pays en route vers l’émergence. Le défi, aujourd’hui, c’est de faire émerger une classe d’entrepreneurs sénégalais capables, de vrais champions au niveau national. Ça prend du temps. Les compétences sont là, mais le problème c’est surtout les financements. Comment faire pour que ces capitaines puissent être en mesure de mobiliser de grands financements pour se développer ? Voilà un autre grand défi du Sénégal.

Vous convenez donc que notre économie est assez extravertie ?

Le mot extraversion a plusieurs significations. Souvent, les gens mettent dedans tout ce qu’ils veulent. Qu’est-ce qu’ils entendent par-là ? Je ne sais pas. Il faudrait donc me le préciser

Par exemple, ils disent que les richesses créées profitent surtout aux entreprises étrangères…

Là aussi, il faut relativiser. Les statistiques que j’ai vues l’autre jour, sorties parles investisseurs européens, font état de 25% du Pib qui soient l’œuvre d’entreprises européennes. Comme on sait que l’essentiel des entreprises étrangères sur le territoire sont européennes. Il faut convenir que les étrangers ne font pas la majorité de notre Pib. Maintenant, il faudra continuer à développer la part des entreprises sénégalaises. Ça ,je suis d’accord.

En quoi faisant ?

En promouvant l’entrepreneuriat local, en favorisant l’émergence de grands capitaines d’industries nationaux. Et nous avons des exemples concrets que c’est bien possible.

Ne faudrait-il pas aussi une préférence nationale dans l’octroi de certains marchés publics ?

Il y a des pays qui utilisent ce procédé, de manière implicite ou explicite. Maintenant, chaque pays a également ses contraintes. Nous sommes membres de l’Ohada et cela entraine des contraintes en termes de nationalité des investisseurs, d’accès à la propriété, de participation au marché… Nous sommes aussi membres de l’Uemoa, de la Cedeao. On ne peut pas faire tout ce qu’on veut. Il y a également les conventions signées avec des pays, les conventions de financement… Bref, tout dépendra de nos capacités de financer nos investissements ainsi que des engagements juridiques. Un pays comme la Malaisie, par exemple, n’a pas toutes ces contraintes.

On a beaucoup parlé des performances économiques. L’un des grands artisans de ces performances a été la primature qui a été supprimée. Pourquoi changer une stratégie que l’on estime gagnante ?

En tant que haut fonctionnaire, je ne peux pas commenter une décision prise par le chef de l’Etat. Je constate simplement que l’institution ne va plus exister. L’argument qui a été donné est de dire que cela va permettre d’accélérer la mise en œuvre des projets. C’est à l’œuvre qu’on verra si cette volonté a permis d’accélérer les dossiers. C’est votre rôle à vous les journalistes de le dire. En tant que fonctionnaire, notre rôle est de faire de sorte que cet objectif soit atteint. Nous ne sommes pas dans le commentaire, nous sommes dans l’action.

Mais en tant qu’expert qui côtoie l’Administration depuis fort longtemps, lequel des leaderships concentrés entre les mains d’un seul dirigeant et éclatés entre plusieurs vous semble le plus efficace ?

Aucun leadership ne peut être concentré. Même dans le cas d’espèce, vous voyez que les ministres sont toujours là. Le niveau supérieur ne fait que coordonner et impulser. Ce sont les ministères qui vont se charger de l’exécution. Maintenant, on peut avoir une impulsion à deux têtes comme c’était le cas ; ou à une seule tête. D’ailleurs, si vous regardez au niveau mondial, très souvent, c’est un Exécutif à une seule tête. Soit un président, soit un Premier ministre. Le modèle que nous avions est surtout celui de la France que l’on ne voit que dans les pays de tradition francophone. Encore une fois, tout est question d’organisation. Aucun système n’est meilleur que l’autre. Le plus important, c’est l’organisation interne. Comment faire pour que les dossiers aillent vite

Quelle était l’importance du poste de Premier ministre dans notre architecture institutionnelle ?

Le Premier ministre était la troisième personnalité de l’Etat. C’est donc un poste très important. En plus, il était chargé de la coordination du travail gouvernemental. Maintenant, permettez moi de ne pas entrer dans les détails

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